Évy-Judas Evingham, ou aussi reconnue comme étant la petite fille du fond de la salle. La petite blonde, un peu rondouillarde, avec ses lunettes et ses cheveux trop longs. Cette gamine là n'était pas beaucoup appréciée à l'époque, elle était gentille pourtant, mais trop.. anormale, aux yeux des autres enfants de sa classe. Elle portait des tee-shirts toujours trop grands et elle était fréquemment à l'écart des autres. Pendant la récréation elle ne suivait jamais ses camarades dehors, elle se contentait simplement de les regarder à travers la fenêtre, imaginant comment elle serait si elle avait pu jouer à la marelle avec les autres petites filles de son âge. Le soir, elle rentrait toute seule chez elle, alors que la plupart des écoliers rentraient main dans la main avec leurs parents en leur racontant sa journée. Elle, elle allait s'acheter un pain au chocolat à la boulangerie du coin de la rue pour aller goûter, assise sur un banc du parc de San Diego et elle allait rejoindre sa maman dans la boutique où elle travaillait, chaque soirs, jusqu'à la fermeture.

Sa mère, Jesabel Evingham, tenait une petite librairie auparavant, et il n'était pas rare de croiser Évy, plus souvent nommée Judas, dans les rayons. Surtout dans celui des romans de science-fiction, qu'elle a toujours particulièrement affectionnés. Une adoration qu'elle avait hérité de sa mère. Il lui arrivait souvent de sélectionner plusieurs livres et de s'asseoir par terre pendant des heures pour pouvoir les feuilleter. Comme tous les autres enfants, elle préférait regarder les images, mais pour elle, c'était plus un moyen de trancher lequel des romans allait-elle choisir de lire. Le fait que peu de petites filles, ainsi que de petits garçons, de son âge ne veulent jouer avec elle l'avait pousser à trouver une seconde option, et elle c'était rapidement tournée vers la littérature. Elle prétendait que c'était par passion, même si au fond, les livres lui servaient plutôt d'échappatoire.

Malgré l'éloignement qui s'était créé entre la petite fille et les autres enfants de son âge. Il y avait un petit garçon avec qui elle s'entendait plutôt bien et qu'elle aimait beaucoup, Dwayn de son prénom. Dwayn et elle n'avait absolument rien en commun, hors mis leur adoration inconditionnelle pour la lecture. D'ailleurs, elle l'avait rencontré dans la librairie de sa mère, un jour où il était assis juste à l'endroit où Judas avait l'habitude de s'installer pour choisir un roman. Ils ne venaient pas de la même école, ils n'habitaient pas du tout au même endroit, ils ne se voyaient que très rarement, mais ils étaient très proches l'un de l'autre. Dwayn se fichait de la façon dont s'habillait Judas, de ses quelques kilos en trop et de sa coiffure ringarde, c'est ce qui le rendait si différent aux yeux de la blondinette.

Ah et pour info, la blondinette solitaire et rondouillarde, c'était moi.

C'était le soir de mes quatorze ans. Comme à chacun de mes anniversaires, j'étais entourée de mes parents, de ma soeur mais aussi de Dwayn qui ne ratait jamais l'occasion de venir chez moi, malgré la distance entre nos deux demeures. Il n'était pas rare de nous voir tous les deux chez l'un ou chez l'autre, le fait est, on ne se quittait jamais. Quoique si, uniquement pour les heures de cours, toujours séparés dans deux établissements différents, malheureusement. Mon père, Peter Evingham, professeur d'histoire-géo, se levait. Il avait le sourire aux lèvres et il frappait délicatement de son couteau contre sa coupe de champagne. Je me trouvais sans voix, son discours m'avait rendue muette, et avait d'un coup effacé toute la joie qui était présente sur mon visage auparavant. Ce discours, ce fameux discours, je m'en rappellerai toujours, mots pour mots. Il m'annonçait que nous partions pour l'Australie, le lendemain, d'une façon permanente. Que nous allions vivre là-bas, que nous quittions San Diego, que je quittais Dwayn. J'avais quitté la table sans adressé un mot, remontant les escaliers un à un en traînant les pieds pour rejoindre ma chambre.

flashback

DWAYN ✙ Je peux ?
JUDAS ✙ C'est déjà fait.

J'étais assise sur mon lit, le regard accroché au mur. Il s'avança jusqu'à moi, s'installa à ma gauche puis m'attrapa dans ses bras, ce qui me fit partir en pleurs instantanément.

JUDAS ✙ Je ne veux pas partir Dwayn ! Je ne veux pas aller m'enterrer dans un lieu où tu n'es pas !
DWAYN ✙ Je sais tout ça. Et je ne veux pas non plus que tu partes. Mais tu n'as pas vraiment le choix je crois.

Je sais, vu comme ça nous avions plus l'allure de Roméo et Juliette version adolescente plutôt que de deux meilleurs amis, mais c'était le cas pourtant. Jamais je n'ai eu de véritables amis hors-mis Dwayn, je m'en limitais à une bande de filles de ma classe qui se servait de moi comme de bonne à tout faire, mais je m'en contentais, histoire de ne plus être la petite fille seule du fond de la classe.

DWAYN ✙ T'inquiètes pas, on trouvera bien un moyen de se voir. Je te le promet.

Je te le promet. Une phrase, quatre mots. C'était probablement la chose, la phrase, qui me faisait le plus peur. Je ne faisais jamais de promesses, de peur de ne les tenir, de décevoir. Et c'est ce qui me faisait peur face à Dwayn, qu'il ne la tienne pas, qu'il me déçoive. Ses mots raisonnaient dans ma tête, encore et encore, m'en donnant le tournis.

J'y suis partie, en Australie. Le lendemain soir de mon anniversaire. Le temps de faire mes au revoir à Dwayn le temps d'une journée, et de préparer quelques affaires, en même temps. J'ai eu le coeur déchiré de devoir partir si loin de mon unique meilleur ami. De devoir affronter une nouvelle fois la solitude, de devoir tout recommencé à zéro.

La vie là-bas était finalement bien moins dure que tout ce que j'avais pu me mettre en tête. J'ai intégré un collège, ainsi qu'un lycée, où les gens se foutaient de savoir si mes cheveux étaient correctement attachés, ou si mon poids était un chouilla au-dessus de la norme. J'ai pris confiance en moi, je me suis faite des amis, plusieurs, et Dwayn est même venu passé les vacances d'été chez moi l'année de mon départ. C'était, d'une manière exagérée, le paradis. Je souriais à longueur de journées, j'ai fait mes premières soirées pyjama, j'avais vraiment l'impression d'exister, enfin ! J'ai perdu le goût de la lecture, j'ai oublié combien un bon roman de science fiction pouvait être bon au point de m'en donner des papillonnements, et, avec le temps, j'ai perdu Dwayn de vue.

J'avais dis, que Dwayn m'a fait sa promesse bien trop rapidement. Je savais que ça finirait comme ça, c'est pour ça que j'avais eu tellement de mal à le quitter pour venir nicher ici. On ne s'est pas lâché, au début, on s'envoyait des courriers électroniques par millions, rien que pour se raconter nos journées ou pour décrire la météo de la semaine. Parfois même, on se téléphonait, mais avec le décalage horaire, c'était moins accessible. Quand il est venu ici, pour les vacances, j'ai vraiment cru que ça fonctionnait, qu'on s'en sortait, presque sans séquelles. Mais visiblement, ce n'était pas le cas. Et c'est justement après qu'il soit retourné à San Diego que tout a dégringolé. Je disais que tout allait bien, je souriais, j'étais la même, extérieurement. Dans ma tête, dans mon coeur, c'était le grand bordel. Pardon de la vulgarité, mais c'est le mot. J'avais cette douleur qui persistait, j'y pensais sans cesse. Jamais je n'avais imaginé un instant pouvoir perdre Dwayn. Pas lui, ça me paraissait totalement dingue, ça ne pouvait clairement pas être possible. Et chaque jours, la réalité me rattrapait un peu plus. Chaque soirs, les larmes dégringolaient sur mes joues durant des heures, tant dis que j'avais peur. Peur de ne plus pouvoir me rappeler de sa voix, de sa façon de parler tellement rassurante, tellement sympathique. Vivre en Australie me paraissait apaisant, finalement, prétendre à tout le monde que j'allais bien était pire que devoir supporté la solitude. J'étais.. paumée.

J'imagine que jusqu'à là on peut facilement croire que ma vie ne tournait qu'autour de mon amitié avec Dwayne. D'un sens c'était le cas. Je ne le nie pas, jamais je ne le nierai. Je me suis relevée cela dit, du fait que nous nous étions totalement perdus, je me suis relevée, mais blessée moralement. Un an, c'est le temps qu'il m'aura fallu pour perdre la personne à laquelle je tenais le plus.. une misérable année.

Je refais mon apparition sept ans plus tard. Je reviens au bercail comme on dit. L'air de l'Australie me manque, le soleil en particulier, mais je retrouve toutes les joies de vivre en Amérique. J'ai beaucoup changé, autant physiquement que mentalement, et avouons-le, j'ai surtout changé physiquement. Je n'ai plus rien à voir avec la petite fille à lunettes avec ses tee-shirts trop grands et ses cheveux mal coiffés. J'ai perdu la seule chose qui m'importait réellement, Dwayn. Et je tente un véritable nouveau départ. Ironique de vouloir repartir à zéro en revenant là où vous étiez auparavant, je suis d'accord. Mais ce qui est amusant c'est que personne n'a vraiment l'air de me reconnaître maintenant que je suis.. différente.

Je n'ai aucunes idées de la réaction que j'aurai face à Dwayn, ni celle qu'il aura face à moi, lorsqu'on le se croisera. J'ignore si nous redeviendrons amis un jour, mais il me manque, et j'ose espérer que je lui manque aussi. C'est égoïste, je sais, mais je ne vois pas pourquoi je devrais être la seule à porter cette intarissable douleur dans la poitrine.

J'ai peur, peur de mon retour à San Diego. Peur d'apercevoir que finalement, je fais une erreur de revenir sur mes pas. Peur de voir que le monde a changé, que Dwayn, mon Dwayn ait changé. Même si je prétends le contraire, la raison qui m'a poussée à revenir ici, c'est lui, lui et son sourire charmeur qui m'a toujours éblouie..